Besterman Lecture 2013: Civilisation et empire au siècle des Lumières

Professeure Céline Spector

Professeure Céline Spector

Le Besterman Centre for the Enlightenment vous invite à la conférence Besterman 2013 donnée par Céline Spector, directrice du département de Philosophie de l’Université Bordeaux 3 (Michel de Montaigne) et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France.

La conférence est le jeudi 31 octobre 2013, à 17h15, à la Maison Française d’Oxford, 2–10 Norham Road, Oxford OX2 6SE. Merci d’envoyer un mail à email@voltaire.ox.ac.uk si vous comptez venir.

Civilisation et empire: la dialectique négative de l’Europe au siècle des Lumières

Cette contribution entend privilégier deux auteurs liés par un fort lien de filiation: Montesquieu et William Robertson. Vers les années 1750-1760, tous deux proposent l’une des premières réflexions sur l’Europe moderne comme ‘société civile’. Marquée par la diversité politique et religieuse, cette Europe est une unité de puissance économique fondée sur l’esprit de commerce, une société civile unie par ses mœurs, advenue dans la modernité comme véritable moteur de l’histoire; une société qui se définit, depuis la découverte de l’Amérique, par rapport à ses autres – les continents qu’elle colonise ou qu’elle subjugue.

Dans L’Esprit des lois, l’Europe advient d’abord comme sujet de l’histoire afin de conjurer un certain type d’empire, qui, de terreau de la liberté et du doux commerce, la transformerait en lieu de servitude. L’Histoire du règne de l’Empereur Charles Quint lui emboîte le pas: le doux commerce y devient véritable moteur de l’histoire. Mais dans les deux cas, les progrès liés au commerce sont pour l’essentiel réservés à l’Europe (occidentale): essor des sciences et des arts, abolition du servage, prospérité économique et liberté politique semblent s’y opérer grâce à des caractéristiques géographiques et historiques singulières. L’immobilisme du ‘despotisme oriental’ et les multiples carences des sociétés ‘sauvages’ semblent réserver à l’Europe le raffinement politique, économique et esthétique d’une société devenue ‘policée’.

Carte de l’Europe

Carte de l’Europe

Faut-il dénoncer dès lors les prémisses d’un ‘orientalisme’ suspect, qui projette sur l’Orient le désir d’hégémonie de l’Occident? Doit-on déplorer la construction d’une Asie mythique vouée à mettre en valeur la supériorité européenne – quitte à faire de l’Europe elle-même l’artefact issu de ce désir de domination? La question se pose d’autant plus vigoureusement que tout en condamnant l’esclavage et la conquête, Montesquieu ou William Robertson louent l’invention, dans l’Europe moderne, d’une nouvelle figure de la colonisation commerçante. De là à intenter le procès de ceux qui furent aussi à l’origine de la théorie des ‘stades de développement’ cernant l’avènement, à partir des sociétés nomades, des sociétés ‘policées’, il n’y a qu’un pas: L’Esprit des lois et l’Histoire du règne de l’Empereur Charles Quint n’ont-il pas inventé un grand récit de civilisation dont l’Europe est le lieu d’élection privilégié?

–Céline Spector

Eighteenth-century violence… redux

Representing violence in France, 1760-1820

Representing violence in France, 1760-1820 (Voltaire Foundation)

Talleyrand may have claimed that anyone born after 1789 would never know the ‘douceur de vivre’, but his peachy vision of the eighteenth century has long gone. Violence lurks everywhere in the period – how could it not in an age of vast inequalities?

The century ends, of course, with the bloodletting of Robespierre and Sade’s writing, but even from the first couple of decades the French recognised the thrill and lure of violence. Crébillon père aimed to renew tragedy through an emphasis on visceral savagery, and displayed a particular liking for the theme of infanticide. His son the novelist must have been bemused. In the book I have recently edited, Representing violence in France 1760-1820, contributors delve deep into a range of literary, historical and political sources to analyse the insidious and terrifying nature of violence.

Execution of Louis XVI (artist unknown; public domain image)

Execution of Louis XVI (artist unknown; public domain image)

Violence does not need to be this dazzling – indeed, it is at its most disturbing in its sudden irruption in a moment of calm. Look how Arlequin lunges out of the darkness towards Colombine in Watteau’s Voulez-vous triompher des belles?  No wonder she rapidly covers her bosom when faced not just by that strange mask and that delicate but insistent hand, but by a man who is sliced in two at the middle, as if his desire has sundered him.

Recent fiction has shown little interest for the refined delights of the eighteenth century. Instead, bones and corpses are exhumed, with the resultant miasma seemingly provoking violence and madness in Andrew Miller’s Pure (2011). And all manner of animal and human flesh is eaten in Jonathan Grimwood’s The Last Banquet (2013), which concludes just before the narrator knows what it feels like to be cat food…

–Thomas Wynn

Le Dodo et le rhinocéros: Voltaire au pays des merveilles

Polémique sur les espèces en voie de disparition? Non. Fable de La Fontaine? Non plus… Il s’agit des illustrations du dernier tome des Questions sur l’Encyclopédie. Les Questions ne parlent pas que de l’Encyclopédie. A travers les quelque 440 articles qui composent cet ouvrage on est confronté aux souvenirs personnels de l’auteur, aux lectures qui l’inspirent, à ses marottes, à ses réactions devant l’actualité entre 1770 et 1772. Inhabituellement, car Voltaire n’est pas particulièrement connu comme amateur des beaux-arts, il évoque, dans l’ultime volume de cet énorme regroupement d’articles, deux gravures, l’une représentant un rhinocéros, l’autre un dodo.

rhinocerus

La première est célèbre; c’est le ‘Rhinocerus’ d’Albrecht Dürer. La référence chez Voltaire est cependant oblique. Dans le bel article ‘Rare’ il affirme que le rare ‘excite l’admiration’ et il poursuit: ‘Un curieux se préfère au reste des chétifs mortels quand il a dans son cabinet une médaille rare qui n’est bonne à rien, un livre rare que personne n’a le courage de lire, une vieille estampe d’Albert-dure, mal dessinée et mal empreinte’. Mais pourquoi penser qu’il y est question du rhinocéros? Deux pages plus loin, Voltaire achève son article en évoquant le rhinocéros Clara, dont l’étape parisienne, en 1749, de sa tournée européenne (1746-1758) fut commémorée par Jean-Baptiste Oudry (ci-dessus). Voltaire est au moins brièvement à Paris en 1749. A-t-il vu Clara? Il en aurait certainement entendu parler.

Le nom du dodo, connu dès le dix-septième siècle à partir des écrits d’explorateurs tels que Thomas Herbert et François Cauche, est comparé à Dôghdu, la mère du prophète Zoroastre, par le savant anglais Thomas Hyde, dans un livre que Voltaire possède dans sa bibliothèque, gravure à l’appui. Voltaire, qui prend plaisir à tourner en dérision les mythes, ne résiste pas à la tentation de resserrer le lien dans son propre article ‘Zoroastre’, où il fait mention explicite de la gravure qu’il a vue dans son exemplaire: ‘Pour sa mère, il n’y a pas deux options, elle s’appelait Dogdu, ou Dodo, ou Dodu; c’était une très belle poule d’Inde: elle est fort bien dessinée chez le docteur Hyde’.

Sur le plan zoologique, outre le dodo et le rhinocéros, les Questions consacrent des articles aux abeilles, au bouc, au chien, aux colimaçons, au serpent… Si Christiane Mervaud n’avait pas déjà écrit ses Bestiaires de Voltaire, le sujet serait à inventer.

QE

Les Questions sur l’Encyclopédie

-Gillian Pink

Happy birthday Denis Diderot! A letter from Marian Hobson

Cher Denis Diderot, happy 300th birthday!

birthdaydiderotWherever you are – for you were a non-believer all your life, and the afterlife you looked forward to was one of infinitely recyclable molecules living on in ever new combinations. A process possibly without end, spinning out like the cosmos itself, but one that was sufficiently complex to leave room for human intervention.

So for 20 years of your life and against the odds you edited the Encyclopédie, aiming to consolidate what was known about agriculture, art, theology, trade – a raft of subjects that probably no other European would have dared bring together – in order that intervention might improve, and wrongs in human systems and thought be at least discussed, and if possible righted.

However, that changing of opinions and recycling of molecules requires energy – that you also knew. In deliciously underhanded ways you developed yours by writing: for instance, dialogues of speculative science prefiguring cloning (Le Rêve de D’Alembert); a hilarious novel (Jacques le fataliste), anticipating le nouveau roman of the 1950s and 1960s, one presenting a net of random co-occurrences out of which events develop in a way that mimics freedom. Your novel forms a net which thus appears as the paradoxical opposite of a linear, causal determinism, and from it we see that these apparent opposites take in each other’s philosophical washing: What is it to be free? Not to be determined. To be determined? Not to be free.

Notably kind, you yet had a talent for comedy and satire which you hid in unpublished work, the satire in the form of a novel-cum-dialogue (Le Neveu de Rameau). Unlike your friend-enemy Rousseau, you are not in the Panthéon; your work doesn’t appear as a set philosophical text in that summum of your country’s education ladder, the written exam of the agrégation en philosophie.DiderotJacquesFatalist01

Your accolades are less of the Establishment, are more wayward and in the future – you will be translated by Goethe, be used as a springboard towards the dialectic by Hegel, and Freud will be glad to find in you a past confirmation of his Oedipus complex. Your work ghosting for others (the atheist d’Holbach), commenting on and round them (Helvétius and the believer Hemsterhuis) and collaborating namelessly on a history of colonialisms (L’histoire des Deux-Indes) has gently rocked beliefs without inculcating dogma or doctrine. We can’t turn you into a memorial, not yet anyway, there is too much to do. You make us keep on thinking. Thank you for all this, cher Denis Diderot!

-Marian Hobson