Grâce à un don de la Mellon Foundation, la Voltaire Foundation a entamé une édition numérique des œuvres complètes du baron d’Holbach, l’un des penseurs clés des Lumières radicales françaises.

Le baron d’Holbach, par Louis Carmontelle.
‘Vivre heureux’ et ‘faire des heureux’. Ce sont là, d’après le baron d’Holbach, les deux seuls objectifs que tout être humain doit poursuivre dans la vie. Comment les atteindre? Il suffit de suivre la nature et de se tenir fermement au ‘flambeau de la raison’. Sauf que… sauf que des ‘fantômes effrayants’, engendrés par la superstition, viennent souvent nous détourner de la ‘voie du vrai bonheur’. Et quand on est soi-même malheureux, il est bien difficile de s’occuper du bonheur des autres. Il faut donc saper les fondements de toute religion, démasquer les ‘imposteurs’ qui nous rendent malheureux, et ramener ‘les esprits égarés à la raison’.
Une telle entreprise, d’Holbach le répète à plusieurs reprises, n’est pas sans risque, car présenter la ‘vérité’ aux êtres humains, comme le dit Diderot, c’est ‘introduire un rayon de lumière dans un nid de hiboux’. Néanmoins, dès le début des années 1760, le baron saisit la plume et commence à bombarder ‘l’édifice ruineux de la religion’. Pendant presque quinze ans les attaques se succèdent sans interruption. Ce sont des traités de morale et de politique, des dictionnaires de jargon théologique, des livres qui prêchent le matérialisme et le déterminisme. Tous ces textes paraissent de façon soit anonyme, soit pseudonyme. Seul un petit nombre de gens de lettres, y compris – fait remarquable! – quelques hommes d’église, savent qui se cache derrière le Système de la nature et Le Bon Sens. Fait encore plus remarquable, ils gardent tous le secret, et lorsque d’Holbach meurt au mois de janvier 1789, il est enterré dans l’église Saint-Roch à Paris, à coté de Diderot.
Depuis lors, des chercheurs se sont essayés à définir les limites du corpus des œuvres du baron d’Holbach, tâche ardue, bien sûr, étant donnée la fâcheuse (mais compréhensible) habitude du baron de ne rien signer. D’ailleurs, un autre facteur vient compliquer la situation: c’est que d’Holbach ne travaillait pas isolément. En effet, on sait par diverses sources que Diderot et Naigeon se donnaient tous deux beaucoup de peine pour blanchir les ‘chiffons sales’ du baron avant l’impression. D’ailleurs, on ne saurait dissocier le baron de la société de gens de lettres qui se réunissait chez lui, sa ‘coterie’ ou ‘boulangerie’: comme il l’écrit lui-même dans l’une de ses lettres, son existence au sein de la république des lettres était une ‘existence collective’.
Grâce à un don généreux accordé à la Voltaire Foundation par la Mellon Foundation, nous travaillons depuis quelques mois à un projet d’édition numérique des œuvres complètes du baron d’Holbach (si tant est que l’on puisse parler d’œuvres ‘complètes’ pour un corpus aux contours aussi difficiles à délimiter). Ce projet nous aidera à jeter quelque lumière sur des ouvrages longtemps oubliés par les chercheurs, et nous permettra de mieux comprendre la genèse et l’évolution de la pensée de l’un des plus importants philosophes du dix-huitième siècle.
Nous avons décidé d’entamer notre édition par les Lettres à Eugénie, un traité sous forme de lettres qui s’adresse aux femmes en tant qu’agents fondamentaux de changement social et culturel. Parallèlement, nous travaillons également à une édition de la correspondance du baron, dont un catalogue est désormais disponible sur le site internet d’Early Modern Letters Online (j’y reviendrai ultérieurement dans un nouvel article de blog). Nous invitons tous ceux et celles qui veulent en savoir plus à venir nous rejoindre à Edimbourg, le lundi 15 juillet à 16h15 (panel 88, voir ici, p.24)!
– Dr Ruggero Sciuto, Hertford College/Voltaire Foundation, Université d’Oxford